Économie

Et pendant ce temps là ils ont faim

La Croix 26/8/1964

 

Je voudrais lancer un cri d'alarme et dire la consternation où me plonge le rapport du Comité d'aide et de développement de l'OCDE (Organisation Économique Occidentale qui réunit l'Europe occidentale, l'Amérique du Nord et le Japon). Le texte que j'ai sous les yeux n'est peut-être pas définitif. La version officielle n'en saurait beaucoup varier. Hélas ! tel quel, il permet d'affirmer que l'aide occidentale au pays sous-développés a diminué de 13,5% en un an et de 18,5% en deux ans...

Dans cette diminution, l'Allemagne est la première en cause, qui a baissé de 256 millions de dollars une aide déjà faible, et ensuite la France, avec une baisse de 202,8 millions de dollars. Certes, notre effort reste très supérieur à celui de la Grande-Bretagne. Est-ce une excuse suffisante ?

Est-ce une excuse suffisante quand cette baisse a pour synonyme la faim d'une moitié de l'humanité ? La faim des enfants, la vraie, avec le ventre qui se ballonne, les cheveux ternis, la peau craquelée, les yeux éteints, puis la mort muette d'un corps recroquevillé sur lui-même.

Je sais bien que notre aide n'a pas toujours été bien employée. M. Cartier a la partie belle pour citer des exemples. Mais n'est-ce pas que par démagogie ou faiblesse nous avons accepté de ne pas contrôler assez nos dons ? Je sais aussi que les bénéficiaires ont commis bien des fautes, ne fut-ce que de se lancer dans un socialisme, que je ne discuterai pas en doctrine, pour l'instauration duquel ils manquaient  assurément de moyens en hommes formés. Ils n'ont fait que décourager les investissements privés et la diminution de ceux-ci intervient pour une part sensible dans les chiffres que nous avons cités. Mais peut-être nous appartenait-il de mieux avertir les dirigeants du tiers-monde des conséquences inéluctables de leurs actes.

Surtout, plutôt que diminuer une aide nécessaire, ne valait-il pas mieux nous la faciliter à nous-mêmes et la rendre supportable à notre économie en exigeant des contreparties sous forme de facilités commerciales que beaucoup de ces peuples sont prêts à nous octroyer ? Ce serait mésestimer l'intelligence de leurs gouvernements que les croire inaccessibles à l'évidence qu'on ne développera pas le tiers-monde en ruinant les pays industrialisés et que l'égalité doit se rechercher ailleurs que dans la misère.

On peut épiloguer sur ces aspects du problème mais d'abord les chiffres sont là. Dix mille personnes meurent de faim tous les jours, et quand chaque année nous diminuons de quelques dizaines ou centaines de millions de dollars notre aide au tiers-monde, à chaque seconde que marque notre horloge naissent dans ces pays deux ou trois nouveaux êtres humains. Les faits sont là, et c'est sur eux que notre civilisation sera jugée.

Et puis aussi peut éclater une révolte plus meurtrière que la bombe H.